Quand Sandman m'inspire

J'ai récemment relu l'intégrale de Sandman, de Neil Gaiman, une véritable mine d'idées et d'inspirations. J'ai fréquemment puisé dans Sandman pour mes parties de Jeu de Rôle, dès fois pour des petits détails, dès fois pour des éléments plus significatifs. Je me suis dit qu'il serait peut-être intéressant pour des lecteurs de voir comment j'ai traduit en enjeux rôlistiques les idées géniales de Gaiman. Les deux exemples qui suivent risquent évidemment de faire l'effet de spoilers (mineurs, toutefois) pour ceux qui n'auraient pas lu Sandman. Je ne pense pas que ce soit un risque majeur, mais enfin vous êtes prévenus.

La Bagdad des Rêves

La première inspiration issue de Sandman était presque directement tiré de l'excellent Ramadan, Sandman #50, qui raconte les doutes existentiels du Calife Haroun-al-Rashid quand à la pérennité de Bagdad, sa cité des merveilles. J'ai toujours adoré les Mille et Une Nuits et l'imagerie qui en découle. Dans cet épisode, le Calife fait un pacte pour préserver la splendeur de Bagdad dans le monde des rêves, et c'est cette idée que j'ai décidé d'exploiter dans une partie de Mage l'Ascension jouée il y a vingt ans quand je vivais en Angleterre. Après un long voyage plus ou moins mystique dans l'Umbra à la recherche d'un mage ancien qui possédait un savoir dont ils avaient besoin, les personnages se retrouvent dans cette Bagdad mythique, en plein Mille et Une Nuits. De mémoire, la première scène était un combat contre les goules d'un cimetière du désert avant même d'arriver dans la cité.

Eux savent qu'il s'agit d'une bulle de l'Umbra, un monde parmi les mondes des esprits. Mais les habitants, eux, ne le savent pas, évidemment. Ils se rendent également compte assez rapidement qu'ils ne peuvent pas partir. Lorsqu'ils essaient de s'éloigner, ils reviennent toujours à Bagdad. Navigant des enjeux politiques et mystiques, ils finissent par retrouver la trace de leur mage, qui se fait passer pour un prêtre catholique en visite à la cour. Lui s'est réfugié là parce qu'une malédiction le fait se décrépir. Et ici, dans cette bulle de rêve au coeur de l'Umbra, rien ne se décrépit. Est-ce qu'il y a pour les personnages un moyen de sortir ? Oui, le mage sait comment créer une brèche, mais s'il le fait, la bulle de rêve commencera à se corrompre, et la Bagdad des rêves se délitera petit à petit à moins que l'imaginaire collectif des hommes ne la nourrisse. Les personnages parviennent à convaincre le mage que les enjeux plus larges de la campagne nécessitent qu'ils retournent sur le monde matériel. Une fois rentrés, ils utilisent leurs ressources pour financer des films et des oeuvres artistiques sur les mille et une nuits pour honorer leur part du contrat : maintenir en vie la Bagdad des rêves.

La Prophétie d'Orphée

Il y a quelques années, mon fils alors jeune ado était complètement accro aux livres de Percy Jackson et m'avait demandé pour son anniversaire si je voulais bien organiser une partie de jeu de rôle sur ce thème. Après avoir lu les romans et adapté les règles de l'excellent Tranchons & Traquons à l'univers des romans, je me suis attelé à trouver une idée de scénario. Les deux caractéristique essentielles de Percy Jackson son le côté road movie aux Etats-Unis (il traverse le pays de part en part au fil des épisodes) et le recyclage dans un contexte contemporain des mythes grecs. La difficulté c'est que l'auteur, Rick Riordan, les passe à la moulinette à une vitesse vertigineuse si bien que le moindre des romans revisite aisément 5 ou 6 histoires. Pas évident de trouver des personnages qu'il n'avait pas encore exploités. C'est alors que j'ai pensé à Orphée, qui n'était pas dans les romans. Et Orphée, comme le savent les personnages de Sandman joue un rôle essentiel dans la trame de la bande dessinée. En particulier une série de trois épisodes intitulés Song of Orpheus raconte comment il a survécu à son massacre par les bacchantes parce qu'il ne peut pas mourir. Il est devenu un oracle dont seule la tête subsiste.

J'ai donc imaginé une trame où les ennemis de la Colonie des Sang-Mêlés (Cronos) s'infiltrent dans le camp pour voler le corps de la Pythie qui sert d'Oracle. Les personnages qui sont sortis la nuit en dépit du couvre-feu surprennent les agents de Cronos et les combattent, mais ils comprennent trop tard quel est leur but. L'oracle a disparu.

Chiron est très inquiet : ne plus disposer de l'oracle met la colonie en grand danger. Il envoie une équipe de héros à la poursuite des ravisseurs de la Pythie, mais par prudence il aimerait bien avoir un plan B. Il décide de confier aux personnages la mission d'aller chercher un autre oracle : la tête d'Orphée. Les personnages vont voir Calliope, la Muse de la poésie et mère d'Orphée qui travaille comme archiviste au Smithsonian à Washington DC. Elle ne sait pas où est son fils, mais elle a entendu sa voix sur un disque de la Nouvelle-Orléans. Les personnages descendent le Mississipi, poursuivis par le fantôme d'Eurydice qui s'est échappé des enfers...

Je viens de découvrir que mon adaptation et mes notes étaient encore disponibles en ligne ici : les règles, la feuille de perso et le scénario. A noter que Kobayashi en personne avait fait des retours sur Casus No sur l'équilibrage de l'adaptation (si jamais l'idée saugrenue vous venait de vous en servir), c'est à trouver ici.

Les Rites Mortuaires de Litharge

J'ai découvert Vornheim grâce à mon pote Cédric à Shanghai qui m'a converti à l'OSR en mettant en scène les sombres loufoqueries de ce supplément boite à outils. Arrivé à Hong Kong et cherchant un jeu léger à maîtriser pour un groupe de joueurs irrégulier, j'ai mis en place une mini-campagne de DCC, des aventures urbaines à la Fritz Leiber. Mon Vornheim était bien sûr très customisé (ce supplément n'est pas une description de ville, mais plutôt une rampe de lancement pour s'approprier un environnement urbain), et un des éléments importants était l'émergence de nouveaux rites mortuaires inspirés de l'épisode de Sandman 55, Cerements. Cet épisode est un arc narratif de multiples mises en abyme dans lequel un homme raconte le temps qu'il a passé dans l'auberge du bout du monde au milieu d'une tempête de la réalité. Les clients de l'auberge se racontent des histoires, et un apprenti embaumeur de la Nécropole Litharge parle d'une cérémonie mortuaire à laquelle il a assisté dans laquelle le corps du défunt est préparé en haut d'une montagne pour que les oiseaux dévorent sa chair.

J'ai repris cette idée comme l'élément déclencheur de la mini-campagne : une "épidémie" ramène les morts à la vie dans les mausolées privés et souterrains des familles nobles. Pour éviter le scandale, elles n'en parlent à personne, mais font venir un étranger qui installe des plateformes mortuaires en haut des tours de leurs demeures pour ne plus avoir à entrer dans leurs mausolées. De là, les personnages découvrent un complot de morts-vivants pour prendre le pouvoir à Vornheim et le restituer à l'ancien roi de la ville mort il y a plus de mille ans.

Ma description de Vornheim avait d'ailleurs quelques éléments provenant d'un autre épisode du même arc narratif de Sandman, celui où l'émissaire de la reine Titania raconte comment il a fait tomber le dirigeant de la cité d'Aurelian. Les dirigeants de mon Vornheim avaient pour titre les Carnifex, et les personnages de la campagne ont bien découvert dans le mausolée sous le Grand Palais les restes des anciens Carnifex par lesquels ils ont compris le complot qui s'ourdissait dans la ville.

C'est certes une utilisation plus mineure de Sandman, des éléments de décor plus qu'une trame essentielle. Il n'en reste pas moins que cette série de Neil Gaiman est blindée d'idées excellentes qui peuvent aisément être recyclées pour du jeu de rôle (et comme on le voit, à la fois du contemporain urban fantasy ou du medfan...)

J'espère que ça vous aura donné envie si vous ne l'avez pas encore lu de vous plonger dans cette riche histoire, ou plutôt ces riches histoires...

Comments

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  3. Je renchéris complètement, je me suis souvent inspiré d'éléments de Sandman moi-même, mais pas les mêmes. J'avais notamment repris sa version de Puck pour une campagne de Buffy-like : chaotique, sauvage, rusé, et très, très dangereux. Dans les autres passages, je retiens aussi Destruction (la destruction comme une force créatrice, brisant le vieux pour laisser la place au neuf) et tous les personnages secondaires de l'arc associé : anciens dieux, gens normaux mais très anciens, etc.

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