Dans le milieu du jeu de rôle, le petit pays qui monte en matière de création est indéniablement la Suède. Certes, ça ne date pas d'hier puisque Kult avait été un gros succès à la fin des années 90, mais ces dernières années les Suédois ont clairement appuyé sur l'accélérateur et produit des jeux qui combinent une qualité de production exemplaire avec des concepts sinon innovants, du moins très travaillés.
Coriolis fait partie de cette dernière vague de jeux venus du Nord, comme Symbaroum ou Mutant Year Zero. Coriolis se présente comme un jeu de science-fiction qui puiserait son inspiration dans les Mille et Une Nuits. C'est un (très) beau bébé d'un peu moins de 400 pages, entièrement illustré en couleurs. La maquette est agréable et, point qui mérite d'être noté, très lisible sur tablette 10 pouces.
Le concept du jeu est relativement simple et pas forcément d'une originalité folle: un vaisseau dortoir de colons est envoyé par la Terre pour coloniser une distante région de l'espace. La plupart des colons sont en stase, mais quelques équipes pilotent et maintiennent les vaisseaux de génération en génération. Seulement voilà: à l'arrivée, près d'un millénaire après leur départ, ils se rendent compte que le quadrant cible de leur expansion a entre temps été colonisé par... la Terre. Entre leur départ et leur arrivée, les Terriens ont découvert des portails qui permettent de parcourir des distances immenses entre systèmes. Les hommes ont colonisé une première série de systèmes sous la férule d'un Empire autocratique, ce fut le Premier Horizon. Des persécutés religieux ont fui pour coloniser une autre portion de l'espace, qui fut donc le Second Horizon. Lorsque le Premier et le Second Horizon ont commencé à se taper dessus, des réfugiés sont partis plus loin encore pour constituer le Troisième Horizon.
Lorsque les colons cryogénisés arrivent, le Troisième Horizon végète. La guerre qu'ils fuyaient les a rattrapés jusqu'à ce qu'ils réussissent à condamner les portails menant vers les deux premiers horizons, mais les dégâts ont été tels que la plupart des pionniers se sont refermés sur eux même. L'arrivée des Terriens d'antan est un catalyste qui dynamise la société maintenant partagée entre Premiers Venus (Firstcomers) et Zénithiens (du nom du vaisseau qui les transportait). Anciens comme modernes partagent une religion polythéiste tournée vers neuf divinités appelées Icônes.
Le jeu est structuré de manière assez classique. Passée une rapide introduction que je vous ai résumée plus haut, on rentre directement dans la mécanique à travers une création de personnage rapide mais assez inspirante, puis une description des compétences, des talents et des règles de combat. A la lecture le tout semble relativement efficace, même si ce n'est pas d'une originalité folle. Le système repose sur des poignées de d6 dont les succès sont obtenus sur des 6. Le principal aspect "moderne" de la chose est la possibilité pour les joueurs de relancer tout ou partie de leurs dés en faisant appel aux Icônes, ce qui a pour conséquence (balance karmique oblige) de donner au MJ des Points Sombres qu'il peut utiliser pour générer toutes sortes de difficultés aux personnages. A noter que les chances de réussite sans prière aux icônes sont limitées, et que le nombre de succès influe peu sur les jets simples mais beaucoup en combat.
Le livre enchaîne ensuite sur une description somme toute succincte (tant mieux) de l'équipement et des armes, puis un chapitre sur les vaisseaux spatiaux et le voyage interstellaire. Ce dernier est intéressant et construit à travers des rôles spécifiques pour les personnages dans le pilotage du vaisseau. C'est un modèle qui a fait ses preuves et permet au groupe entier d'être impliqué même lors de séquences focalisées sur la navigation ou le combat spatial.
Après cette première moitié du livre à prédominance mécanique, on passe à des chapitres de contexte assez denses mais pas trop, encore qu'il faille clairement aimer les jeux un peu foisonnants pour y retrouver ses petits. Un chapitre nous décrit l'historique et la géographie du Troisième Horizon tout en laissant sous silence un certain nombre de mystères dont on sent bien qu'ils constitueront des éléments forts des accroches d'aventures ou des révélations (à noter qu'il y a une dizaine de pages dans le premier supplément The Atlas Compendium consacrées à ces secrets). On découvre ensuite les différentes factions, des groupes politiques, religieux ou des intérêts économiques qui gouvernent de manière plus ou moins conjointe le Troisième Horizon.
Après avoir décrit les différentes cultures qui peuplent les 36 systèmes du Troisième Horizon, on vire à la géographique avec une description détaillée de la station spatiale Coriolis, centre culturel et politique du jeu, qui a été construite avec les restes du Zénith, le vaisseau stase arrivé il y a quelques 60 ans en temps de jeu. Un chapitre nous décrit ensuite le système Kua où se trouve Coriolis, puis un dernier chapitre d'Atlas décrit succinctement chacun des autres systèmes. L'avant dernier chapitre décrit les créatures et autres entités plus ou moins maléfiques que l'on peut rencontrer dans le Troisième Horizon. Le dernier donne quelques conseils de maîtrise et propose un mini-scénario et quelques lieux pour lancer une première campagne de Coriolis.
D'une manière générale, comme je l'ai dit plus haut, le jeu est agréable à lire, illustré de manière très convaincante et susceptible d'inspirer MJs comme joueurs. Le système semble assez solide à la lecture, sans être excessivement compliqué (à vérifier en particulier avec le sous-système de combat spatial) et correctement adapté à l'univers qu'il veut émuler.
En vieux fan de Fading Suns, je n'ai pas pu m'empêcher de voir les nombreuses similitudes entre les deux jeux (portails, dimension religieuse et mystique, obscurité entre les étoiles, etc.) mais je trouve finalement que Coriolis se détache assez bien de son prédécesseur dans le genre: d'abord par le rôle qui est celui des personnages, qui sont plutôt hors factions même s'ils peuvent être amenés à travailler avec ou pour certaines d'entre elles; ensuite parce que le système de Coriolis tient la route. Il me semble d'ailleurs idéalement adapté à ceux qui voudraient rejouer à Fading Suns avec quelque chose de robuste et fluide et un minimum d'adaptation nécessaire.
Par contre, comme Fading Suns, Coriolis est foisonnant, et là où ce dernier ne fait pas mieux que son prédécesseur c'est sur la clarté de la proposition ludique. Pour tout dire, la question n'est abordée que de manière très périphérique à la création de personnages (les joueurs doivent choisir un concept de groupe avant de créer leurs personnages) après quoi on en parle plus. Les conseils du MJ sont trop succincts et trop génériques pour contribuer grand chose sur ce point. Alors certes, une partie non négligeable du premier supplément, The Atlas Compendium est consacrée à des tables de génération aléatoires de systèmes et/ou de missions, mais j'avoue que ça ne me satisfait pas totalement.
D'autant que l'inspiration arabisante du concept de départ, si elle est très présente dans l'esthétique du jeu (illustrations, terminologie) n'est que cosmétique. Certes, il y a une forte dimension religieuse/mystique, mais elle n'a rien à voir avec le monothéisme fantastique des mille et une nuits. Il y avait à mon avis à travailler les conseils au meneur en repartant à ces sources là : comment mettre en scène des mises en abyme, comment coller aux thématiques des contes arabes, quel est le sens des contes (et donc des aventures) par rapport à a religion, à l'humanité, à l'amour, etc. Mais Coriolis fait l'impasse sur tout ça.
Ca n'en fait pas, loin de là, un mauvais jeu, et pour tout dire je suis assez tenté d'y jouer (j'espère qu'on me le proposera). Mais ça reste finalement un jeu d'aventure dans l'espace parmi d'autres plutôt qu'un jeu à la saveur vraiment unique et une proposition ludique forte.
(Ce billet a été initialement publié sur www.hu-mu.com le 10 Février 2017)
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