Influences Rôlistes #9 : Dracula Dossier

(En 2018 j'avais entamé une série de billets sur Facebook présentant les jeux qui m'avaient le plus influencé. Je n'ai jamais terminé cette série. Je me suis dit que c'était une occupation comme une autre en ces temps introspectifs, donc voici cette série, révisée et complétée.)



J'ai écrit cette série de billets pour identifier et gloser sur les jeux qui m'ont marqué, influencé, qui ont changé ma perception de ce que peut être le JdR ou certains de ses aspects. Dracula Dossier n'est pas un jeu, c'est une campagne pour un jeu (pour lequel j'ai au demeurant peu d'estime), et pourtant cette campagne a durablement influencé ma manière de voir ce que peut-être une campagne. C'est aussi un exemple admirable de boîte à outils, à une échelle que je n'ai jamais vu ailleurs.

Dracula Dossier c'est une campagne pour Night's Black Agents, un jeu d'espionnage surnaturel où les agents ennemis sont moins des puissances étrangères que d'anciens vampires qui manipulent le monde. Un croisement contre-nature en Alias et Vampire la Mascarade. NBA est motorisé par Gumshoe, un système pour lequel j'avais peu d'affinités avant de jouer à Dracula Dossier et qui est maintenant un des rares systèmes que je déteste allègrement.

Et pourtant...

Il y a deux choses qui distinguent radicalement Dracula Dossier de la concurrence. La première, c'est sa construction, et la seconde son support de jeu. Je vais commencer par le second pour bien vous faire comprendre ce qui a fait exploser mon petit cerveau en y jouant, puis en la lisant.

Le point de départ de Dracula Dossier, sans surprise, c'est le roman Dracula de Bram Stoker. Ce roman, loin de n'être qu'une fiction est en fait une version édulcorée d'un rapport de mission d'espionnage lorsque les services secrets anglais ont tenté d'engager Dracula comme atout (asset). Affaire qui a spectaculairement échoué. Alors que la rumeur sur cet échec commençait à se répandre, les services secrets Anglais ont décidé de publier une version expurgée sous forme de romans pour mettre fin aux rumeurs en disant "vous voyez bien, c'est de la fiction".

Le roman de Stoker existe donc dans le monde du jeu, mais en version originelle, non-edulcorée, "unredacted". Et non seulement elle existe, mais elle a été annotée au fil des années par une succession d'espions Anglais, au fur et à mesure que les répercussions de l'échec du recrutement de Dracula se sont fait sentir et que d'autres tentatives aient été effectuées. Toutes ces annotations (et pratiquement tous les éléments saillants de Dracula) se retrouvent dans le livre du MJ sous forme d'articles, que ce soient des personnages, des lieux, des objets, etc. En pratique, les joueurs peuvent lire le roman modifié dans l'ordre ou simplement piocher et lire les annotations : tout est référencé. On a donc affaire à une sorte de sandbox conceptuel plus que géographique.

Ce qui m'amène au bouquin de la campagne lui-même. Chaque article décrit l'élément dont il est question et propose plusieurs options au MJ quand au rôle que peut jouer cet élément dans la campagne : affilié à l'une ou l'autre faction, neutre, etc. Au MJ de décider, en amont ou à la volée ce qu'il en est. Evidemment, la plupart des éléments mènent à d'autres éléments, ce qui crée un fil narratif de fait... jusqu'à une confrontation finale.

Ce qui m'a le plus scotché en tant que joueur, et le plus fait réfléchir à posteriori c'est l'interaction entre le roman annoté (une sorte de gigantesque aide de jeu) et la dynamique autour de la table. Tous les éléments réels mentionnés dans les annotations (ou dans le romans) pré-existent, si bien que si les joueurs consultent wikipédia ou plus généralement internet ils trouveront des références qui concordent. C'est très puissant, on a l'impression de faire un travail d'espion. Ca renforce énormément la suspension d'incrédulité. Et côté MJ, on peut choisir de préparer à mort... mais on peut aussi choisir de se laisser porter et de décider au fil de l'eau ce qu'il en est réellement. Extrêmement plaisant.

Bref, une claque.

Bon, après, si je suis honnête, Dracula Dossier a nourri mes réflexions sur les jeux d'enquête, mais n'est pas pour autant réplicable tel quel, la somme de boulot étant colossale pour pondre quelque chose de ce type. Il n'empêche, retrouver cette sensation de "tout est possible" côté MJ est devenu une aspiration que je souhaite concrétiser avec les Mystères de Paris sur lequel je travaille.

Comments

  1. Le système Gumshoe je le trouve intéressant dans sa simplicité (même si c'est une faiusse simplicité côté MJ) et dans la façon dont il permet aux personnages de s'approprier une partie de l'histoire normalement réservée au hasard.
    Au passage, bravo pour ce site/blog !

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