Lupus de Fréderick Peeters

(Ce billet a été initialement publié sur www.hu-mu.com le 9 Juillet 2012)



Quand on y réfléchit bien, la science-fiction est un peu (voire beaucoup) le parent pauvre de la bande dessinée. Autant la plupart des autres genres de l'imaginaire (et le fantastique en particulier) sont très représentés sur le médium BD, autant les oeuvres mémorables de science-fiction en bande dessinée se comptent sur les doigts d'une main... Bilal y figure sans doute, probablement Druillet (pour ceux qui aiment) et évidemment Moebius. Sorti de ces trois là, on a des séries certes sympathiques (comme Valérian) mais qui manquent de profondeur. On pourra évidemment considérer que le Manga a été plus prolifique dans le genre, et je suppose que c'est vrai, mais là encore à l'exception de quelques oeuvres majeures (Akira, Ghost in the Shell...) on est plus dans le divertissement.

Non pas qu'on puisse reprocher quoi que ce soit à la BD de divertissement, mais dès fois on cherche quelque chose de plus intime, de plus élaboré, quelque chose qui nous touche en plus de nous passionner. C'est pourquoi j'ai décidé aujourd'hui de vous parler de Lupus, une BD en quatre volumes de Frederick Peeters qui (à mon avis) fait partie de ce qui se fait de mieux dans le genre.

Je ne voudrais pas donner l'impression d'être un expert en SF. J'ai lu mes classiques, j'ai aussi de grosses lacunes. Il me semble toutefois qu'on peut très schématiquement catégoriser les oeuvres de SF en deux grandes familles: les oeuvres "à message" et les oeuvres "à contexte". Les premières s'emparent de l'anticipation inhérente à le SF pour nous interroger sur notre présent en examinant les impacts sociétaux d'évolutions technologiques ou sociales qu'on pressent déjà. Les secondes nous plongent dans un futur "exotique", décor d'histoires pas forcément en elle-mêmes futuristes.

Lupus est résolument ancré dans cette seconde catégorie. Ce n'est pas une histoire de science-fiction dans le sens où les éléments constitutifs du récit sont fondamentalement humains et pas technologiques, mais l'histoire nous fait voyager d'une planète aux poissons baleines que l'on pêche en draguant avec un vaisseau tant leur densité est importante à une station orbitale habitée par un robot un peu dézingué en passant par un paradis botanique où vivent des millions d'espèces de plantes plus bizarres les unes que les autres.

Le récit commence autour de Lupus et Tony, deux amis d'enfance férus de pêche qui se baladent de planète en planète pour tenter les pêches les plus étranges et, officiellement, voir du pays. En sous-main, ce sont aussi des gastronomes de la dope, prêts à essayer tout ce qui se fait de plus bizarre pour vivre des trips nouveaux. Arrivés sur une nouvelle planète, il font la rencontre dans un bar de Sanaa, une fille jolie, un peu paumée, qui semble en pincer pour Lupus. Ils sympathisent, elle leur explique qu'elle s'emmerde, qu'elle veut partir, et sur un coup de tête, ils l'emmènent à la pêche.

A travers le ressort classique de la femme qui vient déstabiliser les relations entre deux amis (et des évènements traumatiques que son arrivée génère, je ne vous en dis pas trop...) on a le point de départ d'une histoire qui est avant tout une exploration du relationnel compliqué entre Lupus et Sanaa, à travers les épreuves qu'ils traversent et même au-delà. C'est aussi l'occasion pour Lupus d'explorer sa relation avec Tony et à travers elle son enfance, la séparation de ses parents et les conséquences que tout cela a eu pour lui.



Le noir et blanc épuré de Peeters est un choix étrange pour un thème de SF où l'on s'attend plus à une explosion de couleurs, mais c'est le compagnon parfait d'une série dont le propos est essentiellement humain, et dont le coeur n'est pas l'exotisme du décor mais ce qu'il induit dans les comportements des personnages. Le trait est délicat, les expressions n'en sont que plus percutantes, plus poignantes.

Je ne suis pas sûr d'être très bon vendeur pour une série que j'adore pourtant, c'est surtout je crois parce que cette BD est un tout entre le récit, les personnages, le contexte et les graphismes. Du coup je ressens sa qualité plus que je ne sais l'exprimer rationnellement. Je ne peux néanmoins que vous en recommander la lecture et ce d'autant plus qu'une intégrale plus accessible financièrement est récemment sortie.

Lupus s'apprécie comme un bon whisky, en prenant son temps, le soir dans un fauteuil moelleux. Goûtez-y, vous m'en direz des nouvelles.




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