Les Mystères de Paris S1E07 : Heures Sombres au Treize



Heures Sombres au Treize

"On était trois. Enfin non, on était cinq avec Epervier et l'Oreille. Mais l'Oreille était un bleu, fraichement recruté. Et Epervier, ben, c'était la patronne. C'était la seule à être officiellement des Condés. Nous, on avait été approchés par elle, parce qu'on avait vu ou fait des choses pas normales. J'ai jamais trop su ce que ça avait été pour les autres, mais pour moi c'était la rencontre de Mille-Bouches à Cayenne. Il avait des tatouages de ses ancêtres qui lui parlaient...

Bon. Tout ça pour dire qu'on était pas nés de la dernière pluie pour ce qui concernait les bizarreries, mais on avait été recrutés en 41, et la Brigade était déjà dans la clandestinité. Donc on était pas officiellement des vaches, et moi ça m'allait bien. De toute façon, ceux qui pouvaient pas blairer les boches avaient une cause en commun. On se faisait confiance parce qu'on avait monté des opérations ensemble, pas à cause du passé des uns ou des autres.

Bref, il y avait Dynamo. Une chouette pépée. Si ça avait pas été la guerre, j'me s'rais bien m'intéressé à elle, mais j'ai appris à la dure que mélanger travail et plaisir c'est jamais une bonne idée. C'est même pour ça que j'ai fini à Cayenne en 38. Dynamo, elle avait trimé dans les usines à la fin 39, et elle avait découvert qu'elle était douée comme mécano. Mais avec la démobilisation, rentre chez toi ma poulette. Elle avait pas aimé ça. Et les boches et les collabos non plus. Elle a saboté une ligne de train ou quelque chose comme ça, et les poulets se sont intéressés à elle. Heureusement, les rouges aussi, ils l'ont protégé et elle a rejoint la résistance. Et puis Epervier l'a repérée.

Langue-pendue, c'est plutôt le genre de type que j'aurais pas croisé avant la guerre. Toujours bien sapé, un balai dans le cul. Un rupin, quoi. Mais avec le temps je me suis rendu compte qu'il y avait des gars bien même chez les rupins. On peut dire qu'il nous aura tiré de pas mal de merdiers, juste en papotant. Le genre de type qui vous aurait convaincu de vendre votre mère. Il nous a rejoint sur le tard vers 43. Je suppose qu'avant ça c'était compliqué pour les rouges et les partisans du général de travailler ensemble. Et moi et Dynamo on était plutôt rouges...

Donc quand je dis qu'on était trois c'est que la plupart du temps c'était nous trois : Dynamo, Langue-Pendue et moi, Trompe la Mort. C'est le nom qu'on m'avait donné au bagne, et je trouve que ça faisait un chouette nom pour un résistant. Je fais pas souvent dans la dentelle, mais même si nos opérations sont discrètes, parfois il faut taper fort. Epervier nous avait baptisé le Groupe Pasqually, rapport à l'ancêtre de la Brigade.

Ce jour là, j'm'en rappellerais toujours. Le 18 Août 44. Ca faisait quelques semaines que les rumeurs couraient sur l'approche des alliés. Il y avait eu des grèves à Paris, puis des opérations contre des casernes allemandes et des trains. Les Fritz étaient sur les nerfs. Ce matin là, quand on est sortis de chez nous, il y avait des affiches partout. Rol-Tanguy nous appelait à l'insurrection. Armez-vous, qu'il disait et attaquez l'ennemi partout où vous pouvez. Moi j'étais déjà armé, un pistolet que j'avais planqué en 38 avant de me faire pincer et que j'avais retrouvé bien au chaud à mon retour fin 39.

C'était Dynamo qui avait le poste de radio avec lequel Epervier communiquait avec nous. Entre nous on utilisait des téléphones. J'étais serveur à La Gapette, le Bistrot ou Paulie le Tatoué avait ses quartiers. Ca tombe bien, j'étais plus ou moins dans la bande à Paulie aussi. C'matin là, le bigophone résonne, et c'était Dynamo.

- "Nous l'armée invisible", qu'elle dit
- "Aux cris éblouissant", j'y réponds
- Bouge toi fissa, qu'elle me fait. Epervier m'a contacté. Les Drachen vont attaquer le 13, ils ont réussi à savoir où c'était en fin de compte. Fonce là-bas, Langue-Pendue nous y retrouve.

Les Drachen, c'était une unité de SS bien pourrie, pour autant qu'un SS puisse être plus pourri qu'un autre. Ca veut dire Dragon en schleu, et ils étaient tous des praticiens, comme disait Epervier. Des sorciers, quoi. Comme nous, sauf que nous on était des amateurs entraînés tant bien que mal par Epervier. Ca faisait des mois que les Drachen et nous on jouait au chat et à la souris. Ils en avaient après la bibliothèque du 13. Ils avaient fait savoir qu'ils pouvaient faire de nous des millionaires en échange de quelques kilos de papier, mais nous on préférait leur botter le cul. Si possible sans se faire cramer.

Mais s'ils savaient ou était le 13, c'était autre chose. J'ai pris congé de Paulie et j'ai foncé vers le IIème en pédalant comme un dératé. Heureusement, je ne suis tombé sur aucune patrouille. Quand j'y suis arrivé, Langue-Pendue était déjà là.

- Epervier est là-haut. Elle est en train de sélectionner les ouvrages les plus précieux à conserver. Elle et l'Oreille vont essayer de se barrer par la cave, mais les Drachen vont arriver d'une minute à l'autre. Il faut qu'on les retarde autant que possible.

Dynamo est arrivée à ce moment là. On a discuté une minute de la marche à suivre. Je suis allé chercher les mannequins dans la salle d'entraînement au sous-sol pour donner l'impression du nombre, et j'ai suspendu des draps sur les verrières pour créer de la pénombre. Ils allaient sûrement être armés.

Dynamo est montée en haut de l'escalier. En l'état, une fois la caisse remplie, Epervier et l'Oreille allaient devoir redescendre dans le hall d'entrée par le grand escalier, passer par la cuisine puis la réserve pour prendre l'escalier de la cave. Tout sauf idéal avec des Drachen à l'entrée. Dynamo a eu l'idée de modifier l'itinéraire. Elle a remodelé la matière du sol dans le placard de l'étage pour créer une ouverture vers le placard du bas, juste à côté de l'escalier de la cave. Du joli boulot. J'ai trainé quelques matelas dans le placard du bas pour qu'Epervier et l'Oreille puisse y sauter sans se casse une patte.

C'est vers c'moment là qu'on a entendu un moteur entrer dans le passage. Il y a une grille à l'entrée, et normalement les voitures ne passent pas. Ca ne pouvait être que les boches. Mais à ce moment là, il y a eu un gros crissement de pneu et un bruit de froissement métallique. Langue-Pendue m'a expliqué plus tard qu'il avait repéré un canasson dans un box du passage et l'avait convaincu de ruer sur la porte du box puis de galoper sur la voiture. Il nous avait gagné une minute ou deux.

Dynamo était toujours en haut. Elle s'est accroupie près du grand escalier, regardant la structure. Elle nous a dit qu'elle allait fragiliser l'escalier pour qu'il s'effondre si les Drachen montaient. Moi, j'avais mon flingue en pogne, et j'attendais les boches de pied ferme à gauche de l'escalier. Langue-Pendue est sorti de l'autre côté, le moment était venu.

On a senti comme un frisson, un truc pas net. En en reparlant plus tard, on a compris que les défenses magiques du 13 avaient été anéanties d'un seul coup. On allait avoir affaire à forte partie. Heureusement, à ce moment là j'ai entendu le bruit de la caisse de livres jetée dans le placard du bas : Epervier et L'Oreille allaient pouvoir calter.

La porte d'entrée à volé en éclats et trois silhouettes se sont détaché, vêtues de l'uniforme noir des SS agrémenté du blason des Drachen. Au centre il y avait un grand type aux cheveux blancs. Un peu le genre qu'on voyait sur les affiches de propagande des nazis mais en plus vieux. Athlétique, sûr de lui. A sa droite une femme blonde, un peu plus jeune, avec la sorte de choucroute que les bavaroises ont sur la tête, il parait. Mais pas vraiment une chaleureuse, cela dit. Et puis à sa gauche, un petit type chauve à lunettes, le genre qui a du tellement se faire taper de dessus dans la cour de récré qu'il est devenu sorcier pour se venger.

J'ai tiré tout de suite sur la femme qui était le plus près de moi. Je l'ai touché à la cuisse, et elle a mis un genou à terre en grimaçant, mais je me doutais bien que ça ne suffirait pas à me débarrasser d'elle. Langue-Pendue aussi avait du préparer un truc, parce que le chef des Drachen a soudain eu l'air paniqué. Il s'est retourné en hurlant quelque chose en Allemand, et il a dévalé l'escalier vers la rue. Les deux autres ont eu l'air surpris, et je me souviens d'avoir pensé que s'ils survivaient, ils avaient pas fini de raconter l'histoire du jour où le chef avait chié dans son froc.

Mais bon, on avait pas trop le temps de rigoler non plus. Le chauve m'a regardé, et d'un seul coup j'ai senti mon pistolet s'envoler vers le lustre en métal qui surplombe l'entrée du 13. Mon truc à moi, c'est la chance. J'arrive à trifouiller comme qui dirait dans le moteur de la réalité pour que la chance me sourie. Quand ça marche. J'ai essayé de faire en sorte qu'en se collant au lustre, la balle parte sous le choc et finisse la Drachen blonde, mais dans le bruit et la fureur du moment, j'ai pas réussi à contrôler et je me suis collé une drôle de migraine. Ca fait ça dès fois quand on pousse un peu trop. A chaque fois qu'on en parle à Epervier elle a l'air désolée pour nous, je sais pas trop bien pourquoi.

En parlant de la blonde, elle regardait Langue-Pendue droit dans les yeux, et j'ai vu qu'il était pâle et qu'il transpirait un peu, mais il a détourné le regard et elle a juré en Allemand. J'avais plus d'arme et j'avais pas réussi à utiliser ma magie, donc j'ai reculé dans les ombres derrière un des mannequins, et puis j'ai sauté sur l'escalier. J'ai de nouveau fait appel à mes talents pour marcher juste là où il fallait pour que l'escalier s'effondre pas. Dynamo me regardait comme si j'étais fou, mais elle osait rien dire pour pas qu'les nazis comprennent. Heureusement, c'coup ci, ça a marché. Je suis arrivé en haut sain et sauf, et l'escalier était intact. Dynamo m'a regardé, et j'ai cru voir une lueur d'admiration mêlée de doute dans ses yeux. Elle savait plus si c'était moi qui étais fort ou elle qui avait merdé...

Ca n'a duré qu'une seconde. Dynamo a lancé son marteau sur la blonde en hurlant en direction de la Bibliothèque :

- Magnez-vous! Les nazis sont là!

Elle attirait l'attention vers nous du haut de l'escalier. On s'est jeté de côté juste avant que les Lüger ne crépitent. On a à peine eu le temps de voir le chef de Drachen rerentrer, passablement furieux, et les trois boches se sont rués quatre à quatre sur l'escalier. Au bout de quatre ou cinq pas, la structure s'est effondrée sous leur poids. Un nuage de poussière de pierre a envahi la pièce, et on en a profité pour sauter depuis le placard du haut vers celui du bas. On a retrouvé Langue-Pendue qui était passé par la cuisine, et on s'est enfui par les égouts en laissant une trace bien visible.

Le 13 est pris, mais au moins Epervier aura sauvé l'essentiel."

***

"Pendant les jours qui ont suivi, on a pas entendu parler d'Epervier. C'était pas inhabituel, mais on était quand même pas rassurés. Les choses étaient tendues à Paname. La préfecture avait déclaré son allégeance à De Gaulle, les panzer étaient postés à l'extérieur, et ça canardait sec. Des gamins qui voulaient rejoindre les FFI avaient été piégés par des collabos et executés par les nazis.

Bref, quand Dynamo nous a fait savoir à travers nos codes téléphoniques qu'on devait se retrouver au point de rendez-vous dans la nuit du 24 au 25 on se doutait que ça ne serait pas pour une partie de cartes. J'ai enfourché mon vélo, et j'ai tracé vers les Halles. Je me suis fait repérer par une patrouille de boches à vélo qui m'ont coursé jusqu'à St Germain l'Auxerrois. Je suis passé devant le point de rendez-vous avec deux nazis au cul. Heureusement, Dynamo a vite réagi. Je crois qu'elle a aimanté les deux vélos Allemands, et les patrouilleurs se sont écrasés au sol, enlacés comme leurs vélos.

On s'est retrouvé quelques minutes plus tard. Les nouvelles n'étaient pas bonnes.

- J'ai eu Epervier à la radio, a commencé Dynamo, visiblement remuée.
- Et alors ?
- L'urgence du moment c'est qu'il faut qu'on trouve le poste de commandement du sabotage de Paris sous l'Assemblée Nationale et qu'on les empêche de faire une connerie.
- Sabotage ?
- Les nazis ont truffé tous les ponts et les monuments d'explosifs. Ils allaient tout faire sauter avant l'arrivée de Leclerc, mais le consul de Suède a réussi à négocier une reddition pacifique. Mais Epervier m'a dit qu'ils ont peur que le SS en charge du poste de sabotage refuse de suivre les ordres. Il faut qu'on y aille au plus vite pour éviter le pire.
- Super, on y va alors.
- Oui, juste deux secondes. Je crois qu'Epervier est morte.
- Quoi ?
- Oui. A la fin de la conversation j'ai entendu des coups de feu, et puis une voix. Un type qui s'appelait Le Vautour. Visiblement un ancien collègue d'Epervier. Je vous dirais le détail plus tard, mais à la fin elle s'est mise à hurler, et je ne pense pas que ça soit bon signe.
- Epervier a cané? j'ai dit incrédule.
- J'en ai peur. Mais on a pas le temps de s'attarder dessus. En route!

Arrivés aux alentours de l'Assemblée Nationale, Langue-Pendue nous explique qu'il venait régulièrement s'entraîner à l'escrime avant-guerre avec un député de ses amis.

- Il y a une salle de gymnastique au sous-sol. Et une entrée latérale qui devrait être moins gardée que l'escalier principal.

On s'est glissé vers cette entrée de côté. La grille était en fer forgé, mais on a pu apercevoir au travers la silhouette d'un soldat posté devant la porte intérieure.

- Je m'en occupe, a dit Langue-Pendue.

Il a pris son air constipé, comme à chaque fois qu'il se concentre, et d'un seul coup le soldat a éclaté en sanglots et a dit quelque chose en schleu. Langue-Pendue nous a dit plus tard qu'il lui avait filé un bon coup de peur pour sa vie. Bref, il s'est carapaté.

Ensuite j'ai essayé de forcer la serrure avec les outils de Dynamo, mais j'ai perdu la main. Dynamo a dit qu'on ne pouvait pas attendre, et elle a mis la main sur la serrure. On a vu une poudre de rouille s'échapper par le trou, et elle a juste ouvert la porte. La serrure était détruite, complètement rouillée.

On est rentré dans les jardins, puis on a couru jusqu'à la porte d'entrée. On l'a forcée, et Langue-Pendue nous a guidé vers les sous-sols. Assez vite, on a entendu des voix, une altercation en Allemand.

- Il faut qu'on se dépêche a dit Langue-Pendue en courant.

Un peu plus loin, on a aperçu une pièce éclairée. Il y avait quatre soldats nazis et un officier SS. Sur la table devant eux, un amas de cables qui partaient vers différentes canalisations dans les murs de l'Assemblée. Au bout de la table il y avait un gros détonateur qui reliait tous les circuits de cables.

Le SS avait une main sur le détonateur et de l'autre il pointait son Lüger vers ses collègues. Les quatres soldats avaient aussi leurs pistolets au poing. L'un d'entre eux essayait de raisonner son collègue en noir. Langue-Pendue nous a raconté après ce qu'ils s'étaient dits.

- Tu as entendu les ordres du Gouverneur. On ne déclenche pas les explosifs, Günther!
- C'est un traitre! Le Führer a exigé que Paris brûle plutôt que d'être libéré. Paris brûle-t'il ?
- Ne sois pas fou, Günther! On a tous nos pistolets pointés sur toi. Si on tire, tu vas juste mourir en ayant désobéi aux ordres, ignominieusement. Et tu n'auras pas le temps de raser Paris de toute façon.

Il n'y avait pas une minute à perdre. J'ai manipulé les fluctuations de la chance pour que le mécanisme ait un défaut si jamais il était activé. Dynamo, quand à elle, a transmuté les fils de cuivre en fils de plomb. Mais au final, c'est encore une fois les manipulations mentales de Langue-Pendue qui nous ont sauvé du pire. Il a imposé un grand calme au SS qui allait appuyer sur le détonateur. Au bout d'un moment, il a descendu son pistolet, en parlant, très calmement, à ses collègues.

L'un d'entre eux a pris son pistolet, pendant qu'un autre sectionnait tous les branchements sur la table. Notre travail était accompli.

On est ressortis de l'Assemblée Nationale aussi discrètement qu'on y était rentré. Dehors, le jour se levait, un jour magnifique. On a marché vers la Tour Eiffel, et Dynamo a fini de nous raconter ce qu'elle avait entendu dans le poste de radio après qu'Epervier lui ait passé les ordres. Après les coups de feu, elle a entendu une voix d'homme, et elle en a déduit qu'il s'agissait du Vautour :

VAUTOUR : C'est la fin des haricots, ma cocotte !

EPERVIER : Vautour ! J'aurais du me douter que tu avais rejoint les salopards...

VAUTOUR : J'ai juste compris de quelle côté les tartines étaient beurrées !

EPERVIER : Sauf que Paris va être libéré ! Tes copains Drachen vont rentrer chez eux la queue entre les jambes !

VAUTOUR : Tu crois encore que c'est la politique qui m'intéresse ? Ha ! Avec ce que j'ai appris et acquis, la France ou l'Allemagne, je m'en tamponne ! C'est moi qui durerai mille ans, pas le Reich !

EPERVIER : Pourriture !

VAUTOUR : Assez palabré. Adieu, Epervier !

Là, elle a entendu les hurlements d'Epervier et elle a compris que c'était fini.

Dynamo avait la larme à l'oeil en terminant son histoire, et je dois dire que j'étais pas loin d'être de la même humeur."

FIN DE L'EPISODE 7

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