Peut-être qu'avec l'âge je suis plus à même d'apprécier les vertus de la lenteur, des scènes diluées qui semblent ne rien apporter à un récit mais posent une atmosphère. Je ne sais pas si j'aurais autant apprécié Jonathan Strange & Mr. Norrell à 20 ans, mais je l'ai adoré à 40 et la seconde lecture que je viens de terminer quelques années après la première ne fait que me conforter dans l'idée que c'est une oeuvre majeure de fantasy. Vous me direz que ça n'est pas placer la barre bien haut, et vous aurez sans doute raison. Il n'empêche, ce bouquin m'a enchanté tout autant qu'il raconte le réenchantement de l'Angleterre.
Le condensé de l'histoire est assez simple: au début d'un XIXè siècle légèrement uchronique et légèrement fantastique, Mr. Norrell, magicien de son état, sort de sa réclusion pour devenir le seul enchanteur d'Angleterre. Mr. Norrell n'est pas commode: il est maniaque du secret, socialement inepte, et a les idées bien arrêtées sur ce que devrait être (et surtout ne pas être) la magie. En particulier, il refuse d'accorder (au moins publiquement) tout crédit au plus grand enchanteur du passé Anglais, John Uskglass dit le Roi Corbeau qui, selon lui, pratiquait une magie dangereuse et qu'il est bon d'oublier. Mr. Norrell, aidé en cela par un entourage de gentilshommes mondains et peu scrupuleux, jouit de son statut privilégié de "seul magicien d'Angleterre" pour obtenir des commissions du gouvernement et autres positions sociales avantageuses.
Jusqu'à l'arrivée de Jonathan Strange, un jeune magicien ambitieux et autodidacte. Les deux hommes se lient d'une certaine amitié, après s'être un peu méfiés l'un de l'autre, et Strange finit par accepter de devenir le disciple de Norrell. Mais ce dernier a du mal à partager son savoir, et cache lui-même un lourd secret qui affecte grandement certaines personnes d'importance dans la société Londonienne. Après que Norrell ait refusé d'aider sur le terrain l'armée Anglaise qui lutte contre Napoléon en Espagne, Strange s'engage, et ces années de guerre lui ouvrent les yeux sur ses pouvoirs...
Ce qui fait de ce roman une lecture unique à mon avis, c'est la combinaison de deux choses: d'une part, un univers uchronico-fantastique de toute beauté et surtout recrée dans ses moindres recoins pour ce qui est de l'histoire magique de l'Angleterre: tous les magiciens antérieurs à nos deux personnages sont connus, cités, décrits dans d'abondantes notes de bas de page qui contribuent grandement à nous plonger dans le récit. Et d'autre part, un style d'écriture superbe de finesse et d'authenticité qui présente le récit à la manière des romans sociaux Anglais du XIXè. Je ne sais pas d'ailleurs ce que vaut la traduction en Français sur ce point, mais la version originale est tout simplement délicieuse.
Alors évidemment, on pourra reprocher au livre sa longueur, et certainement également sa langueur. Pour ma part, j'ai trouvé que ça contribuait au délice de la lecture. Evidemment, pour les amateurs d'action et de magie débridée, ce n'est sans doute pas un bon choix. Mais pour les amoureux du roman en tant que forme littéraire, c'est à mon avis une excellente lecture au contraire: à la fois terriblement immersive, finement ciselée et merveilleusement évocatrice.
Vous l'aurez compris, je suis fan de ce bouquin, et j'attends avec impatience une hypothétique suite (ou en tous cas un roman situé dans le même univers mais plus tard dans le temps) qui serait en cours d'écriture par Susanna Clarke. Il est clair que ce livre n'est pas pour tout le monde, mais si vous vous reconnaissez dans ce que j'écris plus haut, à mon avis vous ne pourrez pas être déçus!
Au passage, je constate que mon avis ne diffère pas grandement de celui de Cédric, bien qu'il aie lu le bouquin dans sa prime enfance, en 2006... J'espère qu'il n'a pas changé d'avis maintenant qu'il est grand...
(Ce billet a été initialement publié sur www.hu-mu.com le 10 Mars 2014)
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