Hyperion et La Chute d'Hyperion de Dan Simmons

(Ce billet a été initalement publié sur www.hu-mu.com le 3 Septembre 2012)




J'ai lu Hypérion et La Chute d'Hypérion de Dan Simmons pour la première fois lorsque j'avais 17 ans. J'en gardais un souvenir mitigé, avec des images très vivaces du premier tome et le sentiment d'une fin brouillonne et bâclée à la fin du second. Ça faisait un moment que l'envie de relire ces deux bouquins me trottait dans la tête, et j'ai profité de la pause estivale pour le faire.

Dès les premières pages, j'ai été happé par Hypérion. Il y a peu de bouquins qui soient capables de vous bouffer tout entier au point que leur lecture en devient obsessive. A toute heure du jour, vous ne pensez qu'à une chose c'est de reprendre votre lecture. Il faut dire que Simmons sait y faire, sur le fond comme sur la forme. L'écriture est précise, le texte fréquemment descriptif, mais rien n'est gratuit. La scène d'ouverture par exemple, dans le salon du Consul, son piano, les paysages sauvages de quelque planète inhospitalière par la verrière... On en apprend plus long sur le Consul à travers ces quelques paragraphes que pendant les trois quart du bouquin qui suivent.

Les descriptions ont aussi un rôle plus impressionniste: Simmons ne nous expose jamais l'univers futuriste de son roman, il le peint par petites touches, si bien que le vocabulaire obscur, les concepts étranges, tout cela se découvre en immersion à travers le contexte des scènes. Du coup, on l'assimile et on y croit. Très efficace.

Evidemment, quelle meilleure manière de nous amener dans son monde qu'à travers les histoires racontées par les sept personnages centraux qui voguent vers leur mort probable sur Hypérion. Pour passer le temps, pour tenter de comprendre ce qui leur arrive, tous sept décident de se raconter leurs vies respectives, ou en tous cas les parties de celles-ci qui les ont menés où ils sont.

Leur voyage a une portée plus grande: Hypérion est menacée par une invasion des Extros, les "barbares" de la civilisation humaine, une diaspora concurrente qui a refusé l'hybernation au moment de fuir l'Ancienne Terre, ne béneficie pas des technologies de pointe développées depuis et constitue en fait une inconnue pour les gouvernants "civilisés". L'objectif des Extros en attaquant Hypérion est de prendre le contrôle des Tombeaux du Temps, artéfacts étranges et incompréhensibles dont l'existence même menace les modèles prédictifs des intelligences artificielles qui, si elles sont depuis longtemps émancipées de la tutelle de leurs créateurs humains n'en restent pas moins bienveillantes à l'égard de l'humanité.

Bref, à travers ces histoires courtes, sortes de nouvelles dans le roman Hypérion, on découvre petit à petit non seulement l'univers tel qu'il est devenu mais aussi les fils de la trame qui se dénoue dans La Chute d'Hypérion. Outre le procédé littéraire inhabituel (au moins pour de la SF), ces petites histoires sont d'une grande profondeur et, pour certaines, puissamment émouvantes. Chacune fait preuve d'une inventivité rare et campe non seulement leurs protagonistes mais l'histoire plus large. J'avais lu ou entendu dire que certaines de ces histoires étaient en fait des nouvelles écrites par Simmons de manière décousue et réutilisées pour Hypérion. Si c'est le cas, le travail de rapiécage est d'une qualité exceptionnelle: la manière dont, petit à petit, les fils des différentes histoires se recoupent est tout simplement époustouflante.

Au moment d'attaquer La Chute d'Hypérion, j'appréhendais un peu. D'abord parce que Hypérion s'était montré aussi bon, pour ne pas dire meilleur que dans mon souvenir. Ensuite parce que la tâche de réunir en une fin satisfaisante tout l'écheveau dessiné me semblait impossible à tenir. Et pourtant, la (re)lecture de la Chute d'Hypérion s'est montrée aussi addictive que celle du premier roman. Certains aspects narratifs dont j'avais un mauvais souvenir (et en particulier un début très haché entre ce qu'il se passe sur Hypérion et ce qu'il se passe au sein du gouvernement qui gère la crise politique et militaire) m'ont finalement parus sensés et efficaces. De plus, mon a priori quant au dénouement s'est avéré infondé: il est tout à fait satisfaisant. Bien sûr, de nombreux aspects de l'histoire restent inexpliqués, ou en tous cas à interpréter, mais autant à 17 ans je voulais tout voir disséqué, autant à 40 j'apprécie le mystère de ne pas tout savoir. Je pense aussi que j'étais trop jeune et trop pressé pour bien saisir les subtilités d'une intrigue plutôt complexe, mais que je juge aujourd'hui très solide.

Bref, tout ça pour dire que d'un souvenir mitigé il y a plus de 20 ans à ma première lecture, je ressors de la seconde avec un grand plaisir et la conviction qu'Hypérion et La Chute d'Hypérion constituent une oeuvre de SF de tout premier plan. Je ne peux que recommander (aux trois péquins qui ne l'auraient pas encore lus) ce livre foisonnant, complexe et ambitieux mais finalement éminemment satisfaisant.

(Nota 1: Pour les rôlistes amateurs ou intéressés par Fading Suns, il est étonnant de voir combien d'éléments, importants ou anecdotiques ont été inspirés d'Hypérion et de la Chute d'Hypérion dans l'univers de Fading Suns...)

(Nota 2: Comme me l'avais fait remarqué Cédric, les couvertures des bouquins en VO sont d'une laideur rarement atteinte. Plus généralement, j'en viens à me demander s'il y a un meme secret avec les couvertures de bouquin SF et Heroic Fantasy, un accord tacite pour les rendre moches à souhait...)

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