Godbound



C'est sans doute à la lecture d'Everway, il y a plus d'une décennie, que j'ai compris à quel point la dynamique de jeu et les interactions entre MJ et joueurs étaient différentes lorsque les personnages sont réellement puissants. Mais Everway souffrait d'un non-système trop évasif pour mettre ça en scène de manière convaincante (à mon goût). Ambre ne m'avait pas plus convaincu, pour des raisons similaires. Le contexte d'Exalted m'a enchanté et donné envie de monter une campagne, mais à la première aventure j'ai compris que c'était tout simplement impossible avec un tel système. Par la suite j'ai acheté Part-Time Gods dans l'espoir qu'il permette de gérer élégamment des Dieux Incarnés, mais là encore j'ai été déçu.

Quand Kevin Crawford a lancé le financement participatif de Godbound, je me suis donc dit que j'allais donner à celui-ci sa chance également, toujours dans la même veine. Pour tout dire, le fait que ce soit un OSR m'a presque refroidi, mais je me suis finalement laissé convaincre:  pour un prix très raisonnable je pourrais juger sur pièce. Grand bien m'en a pris.

Godbound est avant tout une boîte à outils pour jouer des demi-dieux, mais il est proposé avec un univers de jeu qui, bien qu'un peu caricatural, ne manque pas de charme. J'y reviendrais.

Sur la partie mécanique, la dimension OSR est finalement minimale, sorti des 6 caractéristiques, des niveaux et des jets de sauvegarde. Il y a bien des déviations du canon que je m'explique mal à la lecture (le jeu semble proposer à la fois des jets utilisant les bonus classiques de caractéristiques et des jets de caractéristiques dont la difficulté est 21 moins la caractéristique), mais il y a également des choses très élégantes pour gérer les échelles de puissance. Ainsi, les demi-dieux n'infligent pas des dommages sur les points de vie des humains mais sur leurs dés de vie.

Le coeur du moteur, ce sont les Mots (Words), des domaines assez larges qui déterminent les attributions divines des personnages. Un personnage pourra ainsi être le demi-dieu des Bêtes, de la Terre et de la Mort. Ces domaines permettent aux personnages d'affecter le monde autour d'eux de manière libre (à travers des Miracles) ou plus scriptée en choisissant des Dons associés à chaque Mot. Miracles et Dons nécessitent d'y consacrer de l'Effort. La gestion de l'Effort est très intéressante puisqu'elle est minimale pour des effets instantanés (l'Effort n'est alors qu'une jauge de puissance à un instant donné) mais doit être affectée dans le temps pour des effets continuels ou de plus longue incidence.

Je me dois d'ailleurs d'insister sur le fait que Dons sont réellement très puissants. C'est évidemment ce qu'on attend d'un jeu sur le divin héroïque, mais en pratique beaucoup de jeux essaient de brider la capacité des personnages à impacter l'univers de jeu. Pas Godbound. A titre d'exemple un Godbound des Bêtes débutant peut transformer n'importe quelle créature vivante en animal, un Godbound de la Mort peut rendre n'importe quelle créature immortelle, un Godbound de la Terre peut faire émerger n'importe quelle structure architecturale de terre en quelques instants. Ces pouvoirs ne nécessitent aucun jet de dés.

Il y a d'autres aspects de la mécanique "divine" que je ne détaillerais pas ici, comme l'Apothéose (qui simule la progression d'un demi-dieu vers son statut divin et la puissance de son Culte.) Le jeu propose également un système de Magie pour les mortels qui peut dans certaines circonstances représenter une vraie menace même pour des demi-dieux. Il y a enfin la Théurgie, puissante mais dangereuse qui a été à l'origine de la situation pré-apocalyptique dans laquelle se trouve le bac à sable proposé dans Godbound.

Bien que le coeur du système soit essentiellement générique (mais orienté medfan: pour une adaptation contemporaine, il faudrait sans doute retravailler un peu les Mots), l'habillage est lié à un univers de jeu succinct proposé dans Godbound. En quelques mots, les Machines Célestes sont déréglées à cause de l'hubris des Théurges humains qui ont cru pouvoir usurper les pouvoirs de Dieu en son absence. Les Théurges ont enfermé la puissance divine dans des Dieux Fabriqués, mais ceux-ci ont fini par imploser. L'Essence Divine s'incarne maintenant dans des hommes quelconques (dont les personnages) alors que le fonctionnement normal de la nature se dérègle. Le Monde d'Arcem est un continent unique (il y en a eu d'autres, mais les dérèglements ont eu raison d'eux et ils ont sombré dans le Néant) constitué d'une quinzaine de territoires tous plus ou moins inspirés d'une culture humaines (romains, russes, chinois, etc.) Comme souvent avec ce type de hack, c'est facile de prise en main et... déjà vu.

Au-delà de la mécanique, le succès de Godbound tient au fait de postuler que la mise en scène de personnages aux pouvoirs divins ne peut se concevoir qu'en mode bac à sable (et de dérouler le jeu dans ce sens). La capacité des PJs, même au niveau 1, à renverser un roi en ayant fait de la chair à pâté de ses armées est bien réelle. Prévoir une trame linéaire est donc futile pour ce genre de jeux. Près de la moitié du bouquin est consacrée à la manière de gérer ce challenge: préparation, réaction, construction d'épreuves dignes des demi-dieux, adversaires, etc. Pour qui pratique le genre bac à sable il n'y a rien de révolutionnaire, mais c'est intéressant et bien décrit. A noter que la version gratuite du jeu (qui est tout de même bien touffue) ne comporte pas l'ensemble de ces éléments.

Vous l'aurez compris, je pense avoir enfin trouvé en Godbound la mécanique pour jouer du "divin incarné" que je cherchais depuis si longtemps. Il faudra évidemment que je teste la chose pour confirmer cette impression, mais ce n'est pas l'envie qui m'en manque. Au chapitre des (petits) défauts on pourra tout de même signaler une police de caractères très petite qui rend la lecture en PDF sur tablette plutôt pénible. Les illustrations et la mise en page sont très chouettes et inspirants, même si quelques passages (en particulier ceux sur la gestion du bac à sable) manquent singulièrement d'aération. Mais ce ne sont que des critiques de forme.

Sur le fond je vous encourage vivement de tester ce Godbound.

(Ce billet a été initialement publié sur www.hu-mu.com le 10 Octobre 2016)

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