A La Claire Fontaine pour Rêve de Dragon


Il y a une petite année, Le Scriptarium a lancé un financement participatif pour la publication d'une nouvelle aventure "officielle" pour Rêve de Dragon. Je mets des guillemets parce que si Le Scriptarium a travaillé avec la bénédiction de Denis Gerfaud, il n'existe plus pour autant de suivi officiel du jeu, et c'est la première aventure publiée dans le cadre de la gamme qui ne soit pas écrite de la main de l'auteur du jeu.

Surfant à fond sur la vague nostalgique des rôlistes quarantenaires maintenant nantis, Le Scriptarium n'a pas lésiné sur les moyens, recrutant les deux illustrateurs fétiches de la gamme, Florence Magnin pour la couverture et Roland Barthélémy pour les illustrations intérieures. Et il faut avouer que l'objet en jette, même si à mon goût la colorisation du travail de Roland Barthélémy ne lui rend pas justice.

Les personnages découvrent donc la ville de Narsis, affectée d'une ancienne malédiction. Lever celle-ci leur déclencherait une vague de souvenirs d'archétype, on suppose donc qu'ils vont s'y atteler. En enquêtant sur l'origine de la ville et de sa malédiction ils trouveront peut-être une piste ténue permettant de trouver une solution. De déchirure en déchirure, ils vont suivre cette piste jusqu'au dénouement final. En résumé, du Rêve de Dragon pur jus.

Mais le ramage est-il à la hauteur du plumage ? Il y a deux manières contradictoires de répondre à cette question. À La Claire Fontaine est d'une fidélité sans faille à l'esprit de Rêve de Dragon, et les nostalgiques y retrouveront tout ce qui faisait le charme unique et indéfinissable de ce jeu: poésie onirique, situations décalées, noms de lieux merveilleux et autres idées atypiques, de celles que vous ne trouverez dans aucun autre jeu. Aucun doute: le nostalgique de l'âge d'or de Rêve de Dragon sera immédiatement en terrain connu et replongé dans le bain.

Malheureusement, cette fidélité va trop loin dans ce qui était aussi les travers d'une partie de la gamme historique, et s'il y a du plaisir à humer le parfum du RDD d'antan, 30 ans de développements ludiques sont passés par là. Les auteurs d'À La Claire Fontaine ont tout fait pour coller au style de l'époque certes, mais les joueurs d'aujourd'hui, sans parler des meneurs ne sont plus ceux de notre adolescence. Au chapitre des (gros) moins, on se retrouve donc avec un scénario sur rails comme on en fait plus, chaque situation menant à la suivante par une solution unique, toutes les autres étant découragées par la mort. C'est d'autant plus fâcheux que dans bien des cas, la solution qui marche est tout sauf la plus évidente.

A la décharge des auteurs, Denis Gerfaud avait produit son lot de scénarios en enfilade de perles (Un Parfum d'Oniroses, Le Sacré Pinceau à Barbes, Poussière d'Etoiles, pour ne taper que dans (et sûr) les scénarios officiels.) Mais c'est ce même Gerfaud qui a également commis ce qu'on appellerait aujourd'hui des aventures sandbox comme l'Empire du Roi Joueur, La Cité des Treize Plaisirs ou Un Rêve en Boldzarie.

Et puis encore une fois, ce que des joueurs toléraient en 1989 comme étant l'état de l'art d'un scénario de JdR, ils ne le tolèrent plus aujourd'hui. J'ai beau apprécier une bonne partie des situations de cette Claire Fontaine, je ne pourrais pas la maîtriser sans y noyer dans les canaux rigides de la trame. Nul doute qu'il existe encore des joueurs qui acceptent (et même, suppose-t'on apprécient) de se voir privés de tout libre arbitre au nom d'une jolie histoire, mais pour ma part je n'en connais plus aucun. Bref, à moins de retravailler assez sauvagement les transitions, ce scénario est - pour moi - inutilisable. On peut certes imaginer de piller telle ou telle situation pour la recaser ailleurs, mais on y perdrait le sel de la chose.

Le Scriptarium envisage de republier la seconde édition de RDD telle quelle, donc sans doute pour eux la nostalgie prime-t'elle sur une adéquation du jeu aux attentes des joueurs actuels. Il n'empêche que s'ils envisagent de publier de nouvelles aventures, ils vont devoir sacrément moderniser leur plume et leurs schémas narratifs. A mon grand regret, À la Claire Fontaine n'est que nostalgie.

(Ce billet a été initialement publié sur www.hu-mu.com le 7 Mars 2016)

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